De la main à la machine – De la neutralité à l'acidité – De la volonté de sauvegarder à celle de détruire

 

Léon Glaize

Quand l'artiste Pierre Paul Léon Glaize (Paris 1842 - Paris 1932) décide de retenir le papier Montgolfier de l'usine de Vidalon-les-Annonay pour l'exécution de son dessin au fusain, il sélectionne et paye pour un papier de qualité, probablement auprès d'un marchand de fournitures d'art. Il ne choisit pas un papier de fabrication industrielle dont le prix réduit signifie une médiocrité de résistance mécanique comme un support au revêtement inadapté à son travail.

Manufactures Canson Montgolfier Vidalon-les-Annonay

 

 

 

 

 

 

 

La texture du papier, son grammage, sa couleur sont des caractéristiques sélectionnées par l'artiste car ses connaissances techniques se lient à sa projection artistique afin d'obtenir une création fidèle à son idée originelle. Il regarde et touche le papier qu'il retient. Dans ce choix qualitatif du papier, il inscrit aussi la notion de longue durée de la lisibilité de son travail.

 

Léon Glaize La Violoncelliste

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pierre Paul Léon Glaize (1842-1932) La violoncelliste, 1892, fusain sur papier contrecollé sur carton, signé en bas à droite en date 92, 92, 47 x 28,5 cm, collection privée.

Verso Léon Glaize

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le montage post création vise à contrecollé sur un support plus rigide le papier afin d'éviter un éventuel gondolement lié à des variations de température et d'humidité et des plis lors d'une manipulation maladroite. Il est aussi un support servant d'intercalaire protégeant le dos de l'oeuvre d'un contact avec une surface pouvant le transpercer.

Ainsi l'oeuvre entre en contact permanent avec un carton de mauvaise qualité composé d'une agglomération de cartons acides et d'une colle (non identifiée). Cette association est une des origines de l'apparition des rousseurs.

 

Test ph pen

 

 

Abbey ph pen

 

 

 

 

 

 

Au verso de l'oeuvre, sur le carton, marquage avec le feutre Ph d'un rond (à gauche) se colorant en orange. Cela indique l'acidité du support.

A droite, test sur un papier blanc, avec le marquage d'un rond se colorant en violet. Cela indique la neutralité du support.

Les œuvres de l'artiste sont visibles dans les collections françaises : Strasbourg, musée d'art moderne et contemporain, Dijon, musée national Magnin, CNAP avec les dépôts depuis 1926 à la Mairie d'Issoudun, depuis 1875 au Musée Réattu (Arles), depuis le 1927 au Musée archéologique (Châtillon-sur-Seine), depuis 1880 : Musée d'art moderne et contemporain de Saint-Étienne Métropole (Saint-Etienne), depuis 1884 à la Mairie de Saint-Dié, depuis le 1902 au Musée des Beaux-Arts de Nantes, depuis le 1907 au Lycée militaire (Saint-Cyr-l'Ecole), depuis 1920 : Musée des Beaux-Arts et d'Archéologie Joseph Déchelette (Roanne).

 

« Je suis l'Attila de la conservation »

 

C'était la phrase de Katia Baslé, chargée de conservation au Centre Interdisciplinaire de Conservation et de Restauration du Patrimoine à Marseille. Il tombe après son passage les nombreuses erreurs en conservation, les idées fausses, les bêtises commerciales et escroqueries intellectuelles.

Une femme au grand cœur et à l'expérience indiscutable. Le bon sens, un regard critique pour ne pas oublier que les règles en conservation ne sont pas des écritures dans le marbre mais à l'épreuve des nouvelles études.

Katia a été bien plus qu'une aide et des conseils pour les conservateurs-restaurateurs. Elle laisse son apprentissage, des techniques et bien plus. De ta langue natale : « dziękuję bardzo ». Katia Baslé

Katia Baslé © CICRP

 

Bienvenue aux moisissures

 

Souvent les moisissures causent des dégradations irréversibles sur les papiers par une coloration indélébiles dans les fibres du support. En 2020, Le Fresnoy expose dans le cadre de Panorama 22 Les sentinelles, l'artiste Olivier Sola. L'artiste utilise le développement de moisissures dans son processus créatif. "En opérant littéralement par la contamination et la pollution de la technologie de l’impression jet d’encre, technologie privilégiée de matérialisation de l’image numérique, je cherche à questionner la matière même qui constitue l’image photographique d’aujourd’hui.
Par ces deux actions renvoyant étymologiquement à la notion de souillure et donc au passage d’un état pensé comme pur à un état pensé comme impur je cherche également à interroger les implications politiques et philosophiques des outils et mécanismes de fabrication de l’image numérique. Recherche d’une image dont l’exactitude et le contenu en information seraient supérieurs au réel lui même, recherche d’une standardisation et d’une reproductibilité exempte d’erreurs, modèle économique de production (smartphones, APN, imprimantes, encres, …) reposant sur l’obsolescence, le gaspillage et sur des industries et entreprises polluantes ainsi que socialement et fiscalement prédatrices, etc…" Olivier Sola.

Oliviersolaultrachrome

Olivier Sola, Ultrachrome, 2020

 

Maquillage aux feutres

 

L'oeuvre graphique de Jacques Monory inspire les agressions picturales. Après les découpages (article ci-dessous), l'utilisation du feutre pour maquiller les lacunes a défait son « oeuvre ». Comme on maquille une voiture c'est-à-dire dissimuler un défaut avec des méthodes non professionnelles, l'estampe du peintre français a eu plusieurs retouches de marqueur dans les parties où figure son célèbre bleu.

L'hypothèse est que l'escroquerie visuelle a fonctionnée les premiers temps mais l'exposition à la lumière a révélée la supercherie. Le pigment utilisait par l'artiste n'a pas vieillit à la lumière naturelle à la même vitesse que celui de l'encre du feutre. Le rendu en mode « dalmatien » apparaît au grand jour. Les principes de lisibilité et de stabilité ne sont pas respectés. La retouche illusionniste faite par un restaurateur n'est pas un travail d'ignorant.

Jacques monory estampe

Vue d'une estampe de Jacques Monory, de face, décadrée

Jacques monory de tail 1  Jacques monory de tail 3

Vues des zones avec du feutre (à gauche avec flash,  à droit en lumière rasante)

 

 

Passe-Partout = cache misère ?

 

Lors d'un achat dans une galerie, antiquaire, brocanteur, enchères,... soyez vigilent sur la présence d'un passe-partout ou Marie-Louise cachant une partie de l'oeuvre.

Ce morceau de carton, souvent élégant, peut s'avérer dissimuler taches, lacunes, tampons, ; facteurs diminuant la valeur réelle de l'oeuvre. Demandez toujours à voir l'oeuvre décadrée pour constater l'oeuvre dans son ensemble.

Lors de l'encadrement de votre œuvre par un professionnel avec la mise sous passe-partout, demandez aussi de voir l'oeuvre avant la fermeture du cadre par la pose du dos protecteur. Des mauvais encadreurs peuvent plier, découper et effectuer d'autres actions détériorant votre œuvre et camoufler de l'extérieur par le passe-partout et le dos.

 

Estampe jacques monory

Vue d'une estampe de Jacques Monory, de face, avec passe-partout

 

Dos estampe jacques monory

Vue de dos, décadrée. On constate deux plis et du ruban adhésif.

 

Detail estampe jacques monory

Sur les deux côtés non repliés, l'estampe est coupée grossièrement au ciseaux.

 

 

« Coût total pour l'heure de la restauration, environ 3 millions d'euros. »

Extrait, article ladepeche.fr Toulouse. Le chef-d'œuvre oublié des peintures murales de Bénezet

 

La restauration est réservée à un chef-d'œuvre, aux musées, aux riches... autant de clichés sur cet artisanat.

La presse communique majoritairement sur les chantiers de restauration nécessitant des travaux longs, coûteux et utilisant de l'argent public.

Un restaurateur intervient aussi pour des particuliers et leurs œuvres (d'artistes peu connus, la valeur est purement sentimental,...) dont le souci est de sauvegarder un patrimoine personnel.

D'une déchirure, plis ou tâches, les restaurations peuvent parfois avoir un montant inférieur à 100 euros. Etablir un devis est gratuit et permettra d'avoir des explications sur les dégradations de votre œuvre.

Patrimoine

 

 

 

Restauration papier grand me reLes fausses bonnes idées de « Grand-mère »,

 

Oignon, pomme de terre, eau de javel, vinaigre blanc,... des produits naturels mais pas inoffensifs pour votre œuvre.

Les idées dites de « Grand-mère » sont souvent pertinentes pour l'intérieur de sa maison, mais quand on s'attaque à une œuvre, méfiez-vous du résultat.

Des mauvaises langues diront que les restaurateurs souhaitent garder le marché de services alors que le fait maison après avoir lu un blog est largement suffisant.

Chaque œuvre est un cas unique et on ne peut pas généraliser un traitement au risque de créer des dommages irréversibles, même pour un excellent restaurateur.

« J'ai lu que... » et les « on m'a dit que... » sont nombreux à se rependre. Sur le court terme l'oignon ou l'eau de javel peut avoir des effets « miraculeux » mais passer quelques mois des nouvelles dégradations apparaissent.

Les produits sont à cibler par rapport à la nature du problème et la composition de l'oeuvre (type de papier, de médium, date de création,...) et ils sont surtout à neutraliser !

L'eau de javel continuera son travail de destruction de la fibre après votre bain et cela pendant plusieurs semaines. Les dégâts sont alors irréversibles.

Comme pour les médicaments, demandez toujours l'avis d'un restaurateur avant toute action.

 

Atchoum ! Gare aux projections microbiennes involontaires

 

Un éternuement est un réflexe maîtrisable ou non selon la spontanéité de sa manifestation première et notre propre gestion du corps.

Signes de diverses maladies, ou causé par de la poussière, pollen,… il correspond à une irritation de la muqueuse nasale cherchant à évacuer l’élément nuisible par l’expulsion d’air contenu dans les poumons par le nez et la bouche.

Il en résulte des gouttelettes, plus ou mois grandes, plus ou moins nombreuses, et plus ou moins dispersées.

Votre fragilité saisonnale à l’éternuement doit-être prise en considération lors de la consultation d’œuvres sur papier. L’impact de micro-gouttelettes sur une aquarelle, un pastel (non fixé) peut avoir des conséquences désastreuses.

Le port d’un masque est alors recommandé :

 

 

Masque chirurgical

Masque chirurgicale

En vente en pharmacie, environ : 0,30 euros/pièce

 

Trois risques :

 

  • La diffusion des pigments

Aquarelle restauration Thomas Wierzbiński

Aquarelle avant une projection salivaire

Mouillure2 Thomas Wierzbiński

Oeuvre avec la diffusion des pigments sur les parties marrons des roseaux

  •  La mouillure (les saletés incorporées dans le papier vont à la périphérie de la zone touchée et le cœur de la zone touchée est claire)

  • Changement des conditions climatiques à la surface du papier et augmentation du risque de développement des micro-organismes déjà présents.

  • Mouillure 2 Thomas Wierzbiński

    Détail d'une mouillure sur une estampe
  • On constate que les couleurs des estampes japonaises, sur papier crépon, ont une diffusion importante.

Mouillure japonais 1 Thomas Wierzbiński

Conséquences d'un dégât des eaux sur une estampe japonaise


La lumière noire

 

Habituellement utilisé par les caissières pour vérifier l'authenticité d'un billet de banque par l'identification de la présence des marqueurs de sécurité, la lumière noire peut aussi révéler des informations primordiales sur une œuvre.

Le contre-collage d'une œuvre sur un support empêche la visibilité de son verso et une observation par transparence. Le passage de la lumière noire permet la détection de moisissures « camouflées ».

 

.Lithographie avec moisissures Thomas Wierzbiński           Lithographie sous lumière noire Thomas Wierzbiński

                                               Oeuvre contre-collée visible à la lumière artificielle                                                                                                                 Oeuvre visible à la lumière noire (moissisures visibles au niveau de la signature dans la planche)

 

 

 

L'observation à la lumière noire doit se faire dans l'obscurité, munit de lunette de protection et d'une lampe néon ou une torche led.

 

  Lampe lumière noire néon Thomas Wierzbiński   Lampe lumière noire leds Thomas Wierzbiński  lunette de protection contre la lumière noire Thomas Wierzbiński

                                                                       Lampe néon                                                                                                                      Torche lumière noire à leds                                                                                             Lunette de protection

 

 

 

Le marquage à l'encre invisible assure une sécurité contre la revente frauduleuse. La présence d'un numéro d'inventaire (norme muséale) ou d'une collection donnent des informations sur l'origine de l'oeuvre et de mener une enquête rapide sur la légalité de sa mise en vente.

Le passage de la lumière révélera la marque permettant de débuter le travail d'investigation.

 

Malette identification à l'encre invisible Thomas Wierzbiński                Marquage encre invisible oeuvre d'art Thomas Wierzbiński

                                                                Matériel de marquage à l'encre invisible                                                                                                                                 Identification d'un numéro à la lumière noire

 

 

Le filigrane, un indice

 

Estampe Louis Auguste Girardot Thomas Wierzbiński  Estampe Louis Auguste Girardot 2 Thomas Wierzbiński

                                   Pointe sèche de Louis-Auguste Girardot à la lumière naturelle                                                                            Pointe sèche de Louis-Auguste Girardot sur table lumineuse

 

 

 

Le filigrane

En premier lieu, l'estampe est placée sur table lumineuse afin de pouvoir distinguer le filigrane. Grâce à la méthode de fabrication du linters, le filigrane est clairement visible.

Grâce aux capacités d'un scanner A3 doté d'un capot à lecture de diapositives, dont la particularité est une rampe néon supplémentaire, il est possible de pouvoir identifier clairement le filigrane ainsi que sa régularité. Il est facile de deviner que la lettre tronquée est un « A », ce qui est confirmé par des recherches documentaires puisqu'un imprimeur célèbre à l'époque, estimé de l'impression de l'estampe, se nommait : « Alfred Louis Porcabeuf ».

Le Benezite contient un Alfred Porcaboeuf, graveur, né à Paris le 31 janvier 1867. Il était élève de Boilvin et sociétaire des Artistes Français depuis 1888. On remarquera également sa décoration de la médaille de Chevalier de légion d'honneur.

Alfred Louis Porcabeuf a commencé a utilisé un filigrane à son nom à partir de juillet 19011.

 

 

Louis-Auguste GIRARDOT2 était un peintre et lithographe, né à Loulans-les-Forges (Haute-Saône, région Franche-Comté) en 1856 et mort en 1933 à Loulans-Verchamp (Haute-Saône, région Franche-Comté).

Il a été l'élève de Gérôme et de Paul Dubois à l'Ecole des Beaux-Arts de Paris. Sociétaire du Salon de la Nationale des Beaux-Arts depuis 1890, il figura aux Expositions de cette société. Chevalier de la Légion d’honneur. Il obtint une médaille et le prix Marie Bashkirtsteff3 en 1887, et des médailles d’argent aux Expositions Universelles de 1889 et de 1900. Exposa au Salon de Paris des paysages à partir de 1881.

Il obtient une bourse de voyage en 1887 et part pour le Maroc et l'Algérie. Il y retourne plusieurs fois. Il peint surtout des sujets féminins et algériens.

Il expose au Salon des Artistes Français de 1881 à 1889. Il devient un des représentants du mouvement orientaliste.

 

Au regard de la concordance d'activité entre l'imprimeur et l'artiste, le filigrane est un élément de déduction supplémentaire pour prétendre que l'oeuvre est originale et parfaire sa datation. 

 

1 Loys Delteil, Le peintre-Graveur illustré, XIX et XX siècles, Tome VI.

Louis-Auguste Girardot figure dans le Bénézit p.39 du volume comprenant la lettre G.

3 Il s’agit d’un Prix fondé en 1885 par Mme Bashkirsteff à la demande de fille Marie, artiste peintre, qui sera décerné à un artiste peintre, femme ou homme, intéressant par sa situation et ayant obtenu au moins une mention l'année même à  l'exposition annuelle des Beaux Arts dite " Le Salon" organisée par la Société des Artistes français.

 

Des mains propres, nos meilleurs outils

 

Manipuler un papier n'est pas un acte anodin. Sa composition absorbe, tel un buvard, les particules sur votre main. Détritus, bactéries, poussières, … se déposent sur votre document. La manipulation d'une oeuvre augmente son risque de détériorations supplémentaires.

Alors que faire ?

Gants blancs en coton, en nitrile, en latex, gel antibactérien ?

Tout d'abord des mains propres, nettoyées au savon pendant 30 secondes, bien rincées et séchées. C'était la base avant toute manipulation d'ouvrage au sein des bibliothèques. Usage tombé en désuétude malheureusement.

 

 

Bacte ries mains Bon            

Ces images incroyables résultent d'une petite expérience faite par Tasha Sturm,                                       Test de la feuille absorbante au thé vert (à gauche : avant ; à droite : après quelques secondes sur la peau des doigts)

une laborantine du Cabrillo College (Californie, Etats-Unis). La biologiste a demandé                             Marque : E.L.F ; Composition : Microcrystakkube Wax (Cera Microcristallina), Caprylic/Capric Triglyceride, Camellia Sinensis (Green Tea) Leaf Extract

à son fils de 8 ans, revenant d'une séance de jeux à l'extérieur, d'apposer sa main dans                              Crédit photos : Thomas Wierzbinski

une boîte de petri préparée pour recueillir les germes et bactéries présentes à la surface

de sa paume. Cultivée dans ce gel (un gélose trypticase soja qui constitue un très bon

milieu de culture), les bactéries ont grossi...

Crédit photos : Tasha Sturm / Cabrillo College / American Society for Microbiology

Sciences & Avenir

 

Idéalement, manipulez vos œuvres avec des gants en nitrile que vous prenez soin de jeter après chaque utilisation.

Raisonnablement, pensez à nettoyer vos mains régulièrement et correctement.

Esthétiquement, pour de belles photos de communication, arborer vos gants blancs cérémoniels ! (pensez à les mettre à la machine juste après)

Cliniquement, mettez un masque anti-bactérien car un éternuement non maîtrisé cause des tâches disgracieuses (surtout sur une aquarelle)

 

Pour en savoir plus : International Preservation New, N°37, Décembre 2005, page 10, Fausses idées sur les gants blancs par Cathleen A. Baker

et Randy Silverman. Ifla pac 2005 randy silvermanIfla pac 2005 randy silverman (1.09 Mo)